





Plusieurs lecteurs demandent ce qui se passe actuellement au Sud de Lubero après la vague des assassinats, des incendies des maisons, les bruits sur l’afflux des clandestins rwandais, et le lancement du projet de reconstruction des maisons incendiées par S.E. Mgr Sikuli Paluku, évêque de Butembo-Beni. Beni-Lubero Online y a dépêché son fin limier pour prélever la température du terrain.

Vue d’un quartier nouvellement reconstruit à Luofu par l’opération "Une Tôle" de Mgr SIKULI
La première difficulté à résoudre était la délimitation du terrain de notre enquête. En effet, nous avons eu des difficultés à délimiter le terrain que les medias appellent depuis un certain temps « Sud de Lubero » pour la simple raison qu’il n’y a pas administrativement un Sud de Lubero et un Nord de Lubero. Ensuite, les dégâts déplorés par exemple à Luofu ont été aussi commis à Muhangi, à Kitsombiro, et à Kasugho. Il serait donc bon de parler de la situation du Territoire de Lubero tout court. Cependant, notre enquête à commencer à Mambasa, Chef-lieu de la chefferie des Bamate et s’est achevé sur la route de Miriki dans la localité de Luofu, en passant par Vutsorovya, Kaseghe, Kirumba, Kasando, et Kaina. Pour ceux qui connaissent la région, ils constateront que nous avons tout simplement longé la route principale Lubero-Goma. Nous n’avons pas été à Kanyabayonga faute de temps. Nous voulions aller à Miriki, mais avons été dissuadés par les personnes rencontrées que notre securité n’y était pas assurée.

Mambasa, Chef-lieu de la Chefferie des Bamate en Territoire de Lubero
Notre méthode d’enquête était simple : visiter les villages et laisser parler les habitants sur ce qu’ils ont vécu et ce qu’ils vivent maintenant. A la fin de chaque entretien, on demandait à nos interlocuteurs s’ils voulaient bien prendre une photo avec nous pour le site internet de Beni-Lubero. Contrairement à nos visites précédentes, tout le monde voulait se faire photographier. Il y avait comme un besoin d’immortalité par la photo. Une phrase d’une maman de Luofu est signe d’espoir : « Quand vous reviendrez, ramenez-nous la photo. Si nous sommes en brousse, accrochez la photo à notre porte ».

Qu’avons-nous vu au Sud de Lubero ? Nous avons trouvé une situation mi-figue, mi-raisin, c’est-à-dire ambigüe, ni chaux, ni froid. Dégâts matériels importants ! Plusieurs ont perdu des membres de famille dans les incendies et les assassinats et n’avaient pas pu faire le deuil comme d’habitude.

Au point de vue sécuritaire, on peut dire qu’il y avait une certaine accalmie pendant les trois jours que nous étions là. Nous n’avons pas entendu parler d’une maison incendiée ou d’autre chose. Mais deux jours après notre départ, deux véhicules de transport ont été attaqué et leurs passagers et marchandises pillés entre Lubero et Kaseghe. Il semble que c’est là la tendance. Chaque attaque est suivie d’un ou trois jours d’accalmie avant d’entendre parler ou d’être victime d’une autre attaque.

Lutte pour la survie à Kayna
Certains militaires congolais que nous avons rencontrés ont dit qu’ils ne sont pas payés depuis des mois. Ces derniers soupçonnent cependant que certains d’entre eux sont bien payés, notamment ceux issus du CNDP.
A la question de savoir si ce sont eux qui incendiaient les maisons et pillaient les véhicules de transport sur les routes, ils ont tous répondu que ce sont les FDLR qui sont coupables de tels crimes. Mais qui sont les FDLR qu’on n’a jamais arrêtés pendant une seule opération d’incendie ?

Hôpital de Kayna
A propos de l’afflux des clandestins rwandais dans la région, nous n’en avons pas vu. Selon les militaires congolais rencontrés, des militaires tutsi rwandais sans familles sont déployés à Beni-Lubero notamment à Kanyabayonga, Miriki, et Kasugho. De notre rencontre avec certains ressortissants de Kanyabayonga, Miriki, et Kasugho, nous avons appris que les militaires tutsi rwandais étaient calmes et ne dérangeaient personne, en ajoutant « jusque-là », qu’ils n’avaient pas encore fait venir leurs femmes et leurs enfants. Pour ces congolais, cette accalmie est un signe d’espoir qu’un jour le rwandais pourra utiliser son arme et ses allumettes pour autre chose que tuer les congolais et incendier leurs maisons.

Vue des montagnes de Vusekera d’où viennent souvent les assaillants
Pour d’autres ressortissants de ces mêmes villages où malheureusement nous n’avons pas été nous-mêmes, il fallait « attendre encore un peu pour juger de la securité sous les militaires tutsi rwandais. Si d’ici le mois de février de l’an prochain, il n’y a rien, nous pourrons dire que les Tutsi sont mieux que les FDLR ».

Une vue d’un quartier de Kirumba
Ailleurs, dans les cités et villages visités, on peut dire que la vie reprend timidement mais que les esprits sont encore traumatisés. Les montagnes autour des villages et des cités font toujours peur car c’est de ces montagnes que partent souvent les assaillants la nuit. Si jadis, on ne craignait que les sorciers la nuit, aujourd’hui on ne craint que les assaillants qui tuent et brulent les maisons. Quant aux sorciers d’antan, on ne sait pas où ils sont partis et pourquoi ils ne s’en prennent pas aux assaillants.

Plusieurs personnes qui constituent la majorité se réservent de parler de leur calvaire. Certaines d’entre elles vivent encore sous le stress, la peur de voir les tueries recommencées. Les maladies comme l’hypertension, la gastrite sont en hausse et font déjà des victimes d’après les services de santé. Une femme adulte de Luofu dont la maison avait été incendiée est morte de crise cardiaque, elle qui n’avait jamais accusée auparavant un accroc de santé de ce genre.

Plusieurs personnes, surtout les jeunes et les enfants n’ont plus de sommeil la nuit par peur d’être surpris comme leurs camarades retrouvés calcinés dans leurs maisons incendiées. Le cas de cette famille de Luofu qui avait perdu 3 enfants âgés de 3, 5, et 7 ans retrouvés calcinés dans l’incendie de leur maison fait toujours peur aux enfants qui ont pris l’habitude de dormir la journée car la nuit ils n’ont pas sommeil. Pour plusieurs personnes, la tombée de la nuit fait peur et chaque réveil au matin est une résurrection. Voir une nouvelle aube est une occasion de rendre grâces au Dieu de la vie.

Au premier contact avec les gens, nous sentions la méfiance, la retenue dans l’échange. C’est après quelques minutes que les langues commençaient à se délier pour raconter le calvaire qui a été le leur pendant plusieurs mois. Après ces quelques minutes d’acclimatation, le contact devenait chaleureux et les enfants sentaient en nous le grand frère que plusieurs ont perdu dans les tueries des mois passés. Plus qu’auparavant, nous avons senti que les congolais du Sud de Lubero ont besoin de parlé à quelqu’un.

A propos du projet de reconstruction des maisons incendiées, on peut dire que le Sud de Lubero est en pleine reconstruction matérielle, qu’il est un grand chantier avec plusieurs maisons inachevées.

Construction d’un maison à Kanyabayonga par l’opération "une tôle" ( crédit photo caritas-butembo-beni)


Remise de tôles à l’opération "Une tôle" par le Rotary Club Butembo (Crédit Photo Thérèse Malule)
Mais les cœurs et les esprits des sinistrés ne sont pas encore à l’ouvrage pour la simple raison que personne dans la région ne sait ce qui adviendra demain. Pendant que les assaillants brulaient les maisons, tuaient les civils, le gouvernement disait que la guerre était finie au Nord-Kivu. Le gouvernement n’a pas encore changé d’attitude et n’a jamais dit « pole » aux sinistrés de trois derniers mois en territoire de Lubero. D’où l’angoisse de la population qui se demande quand le gouvernement congolais se penchera sur la sécurité de ce coin du pays parce que la paix acquise par un signature sur un papier à Kinshasa ou à Goma n’est pas encore arrivée dans les villages au Sud de Lubero!

Ruines d’une maison incendiée à Vuhimba/ Luofu
Malgré cette angoisse visible sur les visages, plusieurs habitants du Sud de Lubero sont fiers de leur victoire sur les ONG qui voulaient les envoyer dans des camps pour déplacés. Aucun paysan ne voudrait quitter son village pour toujours. Tous, ou du moins la plupart, disent préférer mourir que devenir refugiés pour toujours.

La méfiance vis-à-vis des militaires et des casques bleus de la Monuc est encore grande. Les ONG internationales qui étaient déjà mises dans le même sac que la Monuc se rachètent peu à peu car elles contribuent activement à l’effort de reconstruction.

Adduction d’eau potable par l’ONG "OXFAM" à Luofu
La question qui demeure est l’avenir de ces maisons reconstruites. La population cherche une assurance que les assaillants ne viendront pas les chasser demain de ces maisons nouvellement construites. Le raisonnement des paysans est simple. Ils se disent que, comme l’accalmie observée ces jours-ci est arrivée sans aucune décision de leur part ou un accord quelconque avec les assaillants, la crainte est que cette accalmie unilatérale ne s’arrête auusi à leur insu. Maintenant qu’il n’y a plus de sommet de paix en vue sur quoi suspendra son espoir, les habitants du Sud de Lubero sont dans le vide. Même les chefs locaux ne savent plus qui détient la clé de la securité dans leur propre chefferie. La paix au Nord-Kivu s’est faite sans eux et peut-être pas pour eux ! Pendant qu’ils souffrent, on leur dit que la paix est déjà avec eux ! D’où la question récurrente : De quelle paix s’agit-il ?

N’ayant pas trouvé du matériel pour reconstruire sa case, un papa a voulu, en attendant,
profité de l’engrais des ruines de sa maison incendiée pour produire du bon tabac !
Parmi les personnes tenues en grande estime au Sud de Lubero, il y a Mgr Sikuli qui avait lancé un appel la solidarité aux hommes et aux femmes de bonne volonté pour la reconstruction des maisons incendiées. Plus de 4 000 tôles ont déjà été distribuées aux sinistrés. La stratégie de Mgr Sikuli est appréciée même si son fonds de solidarité donne seulement 20 tôles ondulées, quelques kgs des clous, quelques ustensiles de cuisine, quelques habits. Seuls les sinistrés qui ont trouvé eux-mêmes des piquets du bois, les roseaux et les lianes reçoivent les 20 tôles du diocèse, La philosophie derrière cette pratique est que les sinistrés ne deviennent pas totalement dépendant de l’aide qu’on leur accorde. Aide-toi et le diocèse t’aidera, disent certains. A la fin, la maison issue de la conjugaison des efforts du sinistré et du diocèse appartient au sinistré. Mais il ne faut pas perdre de vue que certains sinistrés ont tout perdu au point qu’ils ne peuvent pas se trouver de quoi remplir la condition du diocèse!


L’ONG américaine d’obédience Adventiste dénommée « Adventist Development and Relief Agency International » (ADRA International en sigle) est aussi très active dans la reconstruction des maisons incendiées au Sud de Lubero. A la différence de l’aide du diocèse, ADRA International offre tout le matériel qu’il faut pour construire une maison aux sinistrés identifiés et se charge de la main d’œuvre. La seule condition pour avoir une maison d’ADRA est d’être sinistré et avoir une parcelle reconnue par les voisins. Au lieu de 20 tôles du diocèse, ADRA donne 25 tôles au moins. Mais, incroyable mais vrai, cette largesse d’ADRA est entourée de suspicion pour trois petites raisons.
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La nouvelle circule que ADRA est une ONG américaine, de l’Eglise Adventiste du 7 ième jour de Lukanga dont le siège social en Afrique Centrale était pendant longtemps au Rwanda.
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ADRA impose une architecture particulière et uniforme pour toutes les maisons qu’elle construit. ADRA ne laisse pas aux sinistrés de choisir la forme ( maison avec balcon) et le plan de leurs maisons. Ce qui fait dire aux paysans qu’il y a des consignes (Alama en swahili) sur des maisons d’ADRA. Pourquoi construire des maisons uniformes ? se demandent les paysans. A quoi ou A qui servira cette forme distinctive ? Et toutes les suspicions commencent là, le manque de confiance dans les ONG internationales étant devenu très grand dans la région depuis les bruits de la collision de certaines d’entres elles avec les occupants.
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Une troisième rumeur selon laquelle ADRA retiendra une des trois clés de chaque serrure fait dire aux paysans que contrairement aux maisons construites par le diocèse, celles d’ADRA n’appartiennent pas définitivement aux sinistrés, qu’ADRA pourra ouvrir les maisons pour les confier aux occupants au moment voulu, etc.

Prototype des maisons avec balcon construites par l’ONG ADRA
Mis au courant de toutes ces suspicions qui dénotent un déficit de confiance en l’ONG ADRA malgré ces largesses, les cadres d’ADRA expliqueraient que la forme distincte des maisons qu’ils construisent est tout simplement pour différencier leur apport de celui du diocèse de Butembo-Beni et pour les identifier facilement lors du passage des donateurs et des contrôleurs. Selon ADRA, la population n’a rien à craindre car ADRA fait la même chose dans plusieurs autres pays du monde.
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Ces deux initiatives de reconstruction Diocèse et ADRA sont encore insignifiantes vis-à-vis des besoins d’habitation au Sud du Territoire de Lubero. On ne peut pas ne pas souligner les contributions individuelles des ressortissants de villages incendiés qui reconstruisent les maisons familiales. Jusque-là le diocèse n’aurait rassemblé que quelques milliers des tôles pour la population du Sud de Lubero. Il en faudrait vingt fois plus pour donner à chaque sinistré un logis. Vu le besoin immense, il faudrait que les hommes et femmes de bonne volonté continuent d’alimenter le fonds de solidarité "Une Tôle" initié par Mgr Sikuli pour poursuivre l’œuvre de la reconstruction matérielle.
A part cette reconstruite matérielle, il faut penser aussi à la reconstruction spirituelle pour guérir les sinistrés du traumatisme provoqué par les attaques répétitives des villages. Le Sud de Lubero a besoin de plusieurs animateurs sociaux, des psychiatres, etc. pour refaire le tissu des relations humaines détruit par les actes barbares des assaillants.
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Et bien sûr, il faut que le gouvernement congolais prenne des dispositions pour protéger les congolais et leurs biens contre toute attaque dans l’avenir. La crainte des sinistrés est que, s’il n’y a pas de paix durable, les assaillants qui brulaient les maisons en paille risquent de revenir après la reconstruction et cette fois-ci pour occuper définitivement les maisons en tôles nouvellement construites. La méfiance est grande. Comme ils l’ont toujours dit à qui veut les écouter, les congolais ont plus besoin de la paix que du pain, car sans la paix on ne peut vivre heureux même dans une maison en tôles. Comme dit un proverbe : « une chaumière où l’on rit vaut mieux qu’un palais où l’on pleure ! Autrement dit, ceux qui donnent les tôles aux sinistrés ne doivent pas oublier de travailler pour la paix au Nord-Kivu et en R.D.Congo. Les deux doivent aller de pair !
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Kakule Mathe
Butembo
©Beni-Lubero Online
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Après la vague des incendies des maisons au Sud du Territoire de Lubero, la vie reprend timidement. Il y a une petite accalmie dans les villages et les cités. Mais les montagnes autour des villages et cités font toujours peur aux survivants car c’est de ces montagnes que partaient les rebelles rwandais qui brûlaient les villages, massacraient les populations. Les rescapés trouvaient leur salut dans la fuite mais tous ont refusé d’aller dans les camps proposés par certaines ONGs de l’ONU…

Vue des montagnes de Bunyatenge à partir de Kayna

Aujourd’hui les montagnes qui étaient jadis considérées comme des lieux saints où les ancêtres se réunissaient pour décider du secours à donner aux humains, tel donner la pluie ou le soleil au moment voulu, sont devenus aujourd’hui des lieux d’où partent les tueurs, la mort, la destruction. D’après un papa du Quartier Vuhimba de Luofu, ses yeux ne quittent plus les montagnes qui l’entourent pour voir s’il n’y a pas une colonne des malfrats qui descendrait pour brûler sa maison nouvellement reconstruite par le don du diocèse ou pour tuer rescapés de la dernière vague d’incendies. Le secours de dieux ne vient plus de montagnes! Mais d’où viendra-t-il?

Les garçons ont peur d’aller dans les montagnes pour cueillir des champignons, des maracujas, chercher des lianes pour les vieux tisserands du village, du bois rouge pour la bande xylophone du village…
Les jeux au clair de la lune n’ont pas non plus repris car la nuit fait peur ! Il faudra du temps pour que les images des incendies nocturnes d’effacent de la mémoire individuelle et collective.

A la tombée de la nuit, les enfants ont peur d’entrer dans les maisons… Vigilance oblige!
Les filles ne vont plus dans la montagne pour chercher du bois de chauffage. Plusieurs de leurs camarades y ont perdu la vie et ne sont plus jamais revenues. D’autres y ont été violentées et ne se sont jamais remises. La montagne qui était si familière aux paysans du Sud de Lubero est devenue étrange. Elle fait encore peur !
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Mais en voyant de loin une nouvelle végétation surgir, des bourgeons réapparaître sur des arbres tombés en terre lors du passage de l’ouragan mais sans perdre racines, l’espoir renait peu à peu ! Un jour les enfants retournerons jouer à la montagne de Miriki, Vusekera, Bunyatenge, Kitobindo, Vutsiri, etc.
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