





Interview Exclusive de papa Laze Muliwavyo (51 ans), veuf, déplacé de Miriki (Sud-Lubero) par Kakule Mathe sur le compte de Beni-Lubero Online. Cette interview a été réalisée à Katwa, ville de Butembo en Kinande avant d’être traduite en Français pour une large diffusion. Le lien de l’image horrible de la fille VINDU, cadette de papa Muliwavyo, brûlée et découpée à la machette par les militaires du CNDP devenus Fardc se trouve au bas de l’interview. Les âmes sensibles peuvent ne pas la visualiser !

Mr Lazard ( Laze) Muliwavyo, déplacé de Miriki à Katwa-Butembo
Beni-Lubero Online (BLO) : Bonjour Papa ! Vous êtes un déplacé de Miriki, au Sud de Lubero. Pouvez-vous nous dire plus sur vous-mêmes et sur la situation humanitaire qui prévaut actuellement à Miriki?
Laze Muliwavyo (LM) : Je m’appelle Lazard Muliwavyo. Dans ma famille et dans mon village de Miriki on m’appelle Laze. Je suis né à Miriki et j’ai grandi à Miriki avec mes frères et sœurs, cousins et cousines. Mais Aujourd’hui Miriki est souvent attaqué nuitamment par des militaires !
BLO : C’est donc les attaques nocturnes qui vous ont poussé à partir de Miriki pour vous retrouver aujourd’hui à Katwa-Butembo ?
LM : Oui ! Mon village était attaqué et j’ai tout perdu (Larmes aux yeux). J’ai tout perdu, tout… Ma fille cadette du nom de VINDU a été brûlée, violée par neuf militaires, découpée à la machette. Elle est morte (Larmes aux Yeux, Silence. Puis touchant dans la poche de sa chemise, il y sort une photo qu’il me montre) Voyez quelle mort horrible a été infligée à ma fille cadette VINDU (Larmes aux Yeux, Silence).
BLO : Papa Laze, « pole sana » pour la perte de votre fille. Mes condoléances Papa Laze! (Pause) Papa Laze, Pole sana ! Quel âge avait votre fille ?
L.M. : Elle avait 24 ans. C’était la cadette, la seule qui restait encore à la maison avec moi.
BLO : Je suis désolée papa Laze pour la perte de votre fille VINDU !
L.M : (Larmes aux yeux) !
BLO : Mais qui avait attaqué votre village et pourquoi ?
L.M. : (Larmes aux Yeux) Je ne sais pas pourquoi Miriki a été attaqué, incendié! Depuis un an, nous apprenions que les villages du côté de Rutshuru et de Masisi étaient incendiés, et ses habitants tués. Nous avions appris que plusieurs jeunes garçons et filles qui étaient tués dans leurs maisons à Kiwanja…
BLO : Peux-tu nous raconter l’incendie de votre village »
LM : C’était un certain mardi, du retour du champ, les enfants du village ont raconté que, de leur retour de l’école, dans les après-midi, certaines personnes non identifiées arrivées dans une Jeep, sillonnaient notre village demandant aux gens de quitter le village à cause de l’insécurité, et des vagues d’incendies dans les localités voisines. Mais le chef (Kapita) de notre village nous a demandé de ne pas quitter le village car certains commençaient déjà à emballer leurs effets pour aller passer la nuit dans la brousse. Durant toute la nuit suivante, tous les hommes et garçons du village avions veillé à l’extérieur autour de trois grands « VIRIKO » (c’est-à-dire trois foyers de feu). Nous avions fait de même le lendemain mais rien n’était arrivé. Le 3ième jour, nous avions baissé la garde pensant que la menace était passée. Cette nuit de l’attaque, chacun était parti dormir dans sa maison. Vers 1 heure du matin, nous avons subitement été réveillés par le feu sur nos cases.
BLO : Comment avez-vous réussi à vous sauver de votre case en feu ?
L.M : C’était la débandade ! La première chose que j’ai faite c’était d’ouvrir ma petite fenêtre car les assaillants avaient mis le feu à la porte d’entrée pour qu’il soit impossible pour nous de sortir. Comme la fenêtre était trop petite, j’étais obligé d’utiliser une hache pour faire une grande ouverture. La chaleur et la fumée se répandaient trop vite. Pendant que je me démenais pour créer une voie de sortie, une grande flamme est tombée sur ma fille VINDU qui suffoquait déjà dans une fumée épaisse. Malgré ses multiples brulures, ma fille était sortie la première. Il faisait très sombre à l’extérieur et on ne savait pas de quel côté étaient les assaillants. Mais nous n’avions pas d’autre choix que de sortir pour nous sauver du feu et de la fumée. Nous nous sommes retrouvés dans la bananeraie, ayant abandonné tout ce que nous avions dans la maison en feu.
BLO : Et votre épouse, où était-elle ?
L.M : J’ai perdu mon épouse il y a 8 huit ans ! (Larmes aux yeux)
BLO : Ma compassion Papa Laze ! (Pause) Et les voisins du village !
L.M. : C’était la débandade. Notre village est en plus de 95% construit en paille. C’est ainsi qu’on ne voyait plus que du feu, et de partout on entendait des cris, des gémissements, et des pleurs de parents qui cherchaient leurs enfants, ou des enfants qui cherchaient leurs parents, etc.
BLO : Quand vous êtes sorti de votre maison en feu, aviez-vous vu les assaillants ?
L.M. : Personnellement je ne les avais pas vus. Mais certains papas du village disent les avoir vu de leurs propres yeux pendant qu’ils mettaient du feu sur les cases. Les assaillants auraient ensuite disparus dans l’obscurité.
BLO : Qu’étaient-ils d’après ceux qui les avaient vus ?
L.M : Ils ont dit que c’était des hommes en tenues militaires des Fardc dont certains parlaient kinyarwanda et d’autres parlaient une espèce de Kiswahili, prononçant des « l » comme des « r ».
BLO : D’après vous, pourquoi ces militaires avaient-ils incendié votre village?
L.M. : Nous ne savons pas pourquoi. Avant les opérations militaires conjointes «Umoja wetu » nous apprenions que les refugiés Hutu rwandais appelés FDLR qui occupaient militairement la localité de Miriki étaient appelés à retourner chez eux au Rwanda et que s’ils ne voulaient pas, les militaires congolais viendraient les arrêter pour les forcer de rentrer au Rwanda. Quand les militaires de « Umoja Wetu » sont arrivés à Miriki en février, ils nous ont dit qu’ils étaient à la recherche des FDLR et des Mai-Mai. Certains nous intimidaient en disant que nous étions des amis des FDLR, que nous cachions les FDLR dans nos maisons, etc. On leur disait que les FDLR qui vivaient dans la localité de Miriki avaient tous fui et que nous ne savions pas où ils étaient partis. On apprenait par oui dire qu’ils étaient retournés chez eux au Rwanda. Depuis février, notre village était patrouillé par ces militaires du CNDP en uniforme FARDC.
BLO : Comment saviez-vous qu’ils étaient du CNDP ?
L.M. : Eux-mêmes nous le disaient. Ils disaient qu’ils avaient gagné leur guerre et que leur prochaine cible était les Hutu rwandais qui se cachaient dans nos maisons et dans nos champs.
BLO : Depuis février jusqu’au jour de l’incendie de votre village, comment se comportaient ces anciens militaires du CNDP ?
L.M. : Ils se comportaient comme les militaires avec arrogance, demandant aux chefs des villages de leur donner à manger, à boire, rodant autour de nos filles, et interrogeaient les garçons sur les relations avec les FDLR et les Mai-Mai, etc. Malgré que leur présence était menaçante, avec quelques exactions ici et là, nos maisons n’avaient pas encore été brûlées et nos enfants massacrés et découpés à la machette [pause]. Les assassinats dont on attendait parlé se passaient sur les routes, dans les villages reculés, loin de Miriki.
BLO : Pourquoi les militaires du CNDP déployés à Miriki depuis février n’avaient-ils pas repoussé les assaillants qui sont venus brûlé votre village ?
L.M : Trois jours avant l’incendie de notre village, tous les militaires du CNDP avaient disparu de Miriki. C’est après leur départ que des gens inconnus étaient venus au village la journée pendant que j’étais au champ pour dire que notre village allait être incendié et qu’il fallait tous quitter le village pour un camp des déplacés que certains ONG internationales apprêteraient pour nous, etc.
C’est vers 3h du matin, deux heures après le début de l’incendie de Miriki que plusieurs militaires sont revenus au village déjà consumé par le feu. Nous étions dans les parages et nous les avons vus venir. Mais au lieu d’éteindre le feu, nous les avons vus mettre du feu sur quelques maisons qui n’avaient pas encore été incendiées.
BLO : Vous m’avez montré la photo de votre fille que vous avez perdue pendant cette nuit de l’attaque. Qu’est-ce qui s’était passé car vous étiez déjà sortis sains et saufs de votre maison ?
L.M. : Nous étions tous dans la brousse à quelque pas de ma bananeraie. Vers 4h du matin, ma fille cadette VINDU qui était déjà brûlée lors de notre sortie de la maison, a voulu aller voir si ces habits et les vivres de son petit commerce pouvaient être sauvés. Elle était tellement troublée qu’elle n’avait plus de rien. Arrivée dans la bananeraie, elle a vu des hommes qui trainaient derrière eux mes sept chèvres. Pensant que c’étaient quelques garçons du village qui profitaient de l’incendie pour voler, elle a crié au voleur. Du coup, les 9 militaires qui volaient les chèvres ont sauté sur elle avant de la violer un à un. Le dernier à la violer est celui qui la découpa pèle mêle à la machette avant de la laisser pour morte dans un fleuve de sang. Après les neuf assaillants sont partis !
BLO : Où étiez-vous en ce moment là?
L.M. : J’étais dans ma cachette ! Quand j’ai vu que ma fille tardait à revenir, je suis allé à sa recherche. Arrivé dans ma bananeraie, j’étais tombé évanoui en le voyant gisant dans son sang. Malgré ses blessures, elle a dit « Papa » ! (Larmes aux yeux). Avec difficulté, elle me demandait à boire. Ensuite, elle me demandait de panser ses plaies. Elle était souffrante ! Je ne savais par où commencer pour lui venir en aide. Elle m’a raconté son calvaire, que certains de ses neuf violeurs l’avaient reconnu et lui disaient : « Urikuwa natukatara mchana, sasa utarara na siye» (Littéralement : Tu ne refusais la journée, maintenant tu vas dormir avec nous). Après, elle n’avait plus de force. Toute la brousse autour du village était calme comme un cimetière en ses petites heures du matin. Il faisait froid ! Les voisins du village n’étaient pas loin mais ils ne parlaient pas. Ils étaient sous le choc ! Je ne savais pas où trouver de l’aide pour amener ma fille ensanglantée à l’hôpital. Mais quel hôpital car tout le village était vidé de ses habitants ! (Larmes aux yeux) Je ne savais rien faire d’autre que lui tenir par le bras, essaya de refermer ses vives plaies dont certaines ne saignaient plus car il n’y avait plus de sang dans son corps. J’ai vu ma fille mourir. Sa dernière parole fut « Papa je souffre » Vers 6 h du matin, elle succomba à ses blessures par manque de secours ! Depuis sa mort, je ne suis plus une personne normale. Toute ma vie dépendait d’elle depuis la mort de sa mère. Pour avoir assisté sans intervenir à son calvaire, je ne suis plus moi-même. Son image me hante partout !
BLO : Pole sana Papa Laze !
L.M. : Ma fille VINDU est morte parce qu’elle voulait sauver ce qu’elle pouvait sauver. Elle travaillait beaucoup et n’avait pas compris pourquoi elle pouvait tout perdre tout ce qu’elle avait dans l’incendie. Elle était courageuse !
BLO : Pole sana Papa Laze ! (Silence) Comment êtes-vous arrivé à Katwa/Butembo et pourquoi Butembo ?
L.M : Après l’enterrement de ma fille dans la bananeraie où était massacrée, je ne pouvais pas vivre dans ce village. En tant que veuf, je n’avais plus de famille à Miriki. Je voulais m’éloigner un peu car j’étais troublé. Tout mon bétail avait été emporté par les militaires rwandais. Mes champs ont été dévastés, ma fille Vindu, ma cadette avec qui on luttait pour la vie n’était plus là. Mes autres enfants sont aussi dans la zone rouge du sud de Lubero. J’ai quitté Miriki sans regarder en arrière. Le calvaire de ma fille me hante nuit et jour. Pendant six jours j’ai marché, mendiant de quoi manger dans les villages où je passais la nuit. Deux fois j’ai passé la nuit dans la brousse car j’avais peur de passer la nuit dans les villages en maisons de paille, craignant qu’ils ne subissent le sort de Miriki la nuit. Après six jours, je suis arrivé à Butembo épuisé physiquement mais surtout moralement.
BLO : Je comprends votre souffrance Papa Laze. (Silence) Pouvez-vous me dire pourquoi vous avez choisi Butembo, et plus spécialement KATWA ?
L.M. : Je suis venu à Butembo chez le fils de mon grand frère. Je ne pouvais pas aller chez mes enfants qui restent à Luofu et à Kanyabayonga car là aussi les rwandais brûlent les maisons.
BLO : Depuis que vous êtes arrivé à Katwa, comment se passe votre séjour ?
L.M. : Tout se passe bien. Je suis content de l’accueil que j’ai reçu chez mon fils qui partage le peu qu’il a avec moi et mes petits-fils.
BLO : Que fait votre fils à Katwa ?
L.M. : Il est « bombeur » (transporteur du parking) en ville. Sa femme fait des travaux de champs dans la périphérie de Katwa. Comme je suis habitué aux travaux des champs, je suis entrain de l’aider un peu. Entretemps, mon fils me cherche un petit boulot pour que je gagne un peu d’argent pour me refaire une vie. Je ferais tout travail qu’il me trouvera, même s’il s’agit de couper la pelouse, sentinelle, travail dans une ferme, etc.
BLO : Comptez-vous retourner dans votre village ?
L.M : Oui, Je voudrais bien, mais il faudra attendre qu’il y ait la securité. Je voudrais y retourner pour faire le deuil de ma fille VINDU ! Je voudrais pleurer sur la tombe où nous l’avions enterrée. Le fait d’avoir abandonnée à Miriki la tombe de mon épouse et celle de ma fille VINDU, me tracasse. Depuis que je suis à Butembo, je n’ai jamais bien dormi à cause de toutes ces pensées qui m’assaillent à tout moment. J’ai toujours peur qu’on ne brûle la maison où je dors même si elle est en tôle.
BLO : Avez-vous quelques nouvelles de Miriki ?
L.M. : Oui j’ai quelques nouvelles. Certaines familles y sont retournées mais y vivent toujours en insécurité. Ceux qui ont trouvé des moyens auraient reconstruit leurs maisons. Mais moi, je n’ai pas encore de moyens pour reconstruire ma maison.
BLO : Savez-vous que la Caritas du Diocèse est entrain d’aider les victimes des incendies du Sud de Lubero ?
L.M.: J’ai attendu parler de cette aide une fois ici à Butembo. D’après les nouvelles, il semble que plusieurs personnes ont déjà bénéficié de cette aide. Si ma fille n’était pas massacrée, c’est elle qui se serait déjà battue pour accéder à cette aide. Une fois apaisée, je verrais comment entrer en contact avec la Caritas !
BLO : Merci beaucoup Papa Laze d’avoir partagé avec nous votre calvaire et celui des populations congolaises de Miriki. Tout en vous présentant mes condoléances pour la mort de votre fille, je vous prie de dire le mot de la fin, ou de donner un message à nos lecteurs.
L.M. : Je n’ai pas d’autre message que de dire aux autorités de l’Etat que nous souffrons sans savoir pourquoi et que leur silence et leur inaction nous tuent doublement. Nous avions voté pour elles en 2006 parce qu’on disait que le vote mettrait fin à la guerre. Mais le vote a amené plus de souffrance et nous ne voyons plus ceux que nous avions élus et qui nous avez promis la paix et la securité. (Pause). La securité est l’aide dont nous avons besoin aujourd’hui. Le reste nous le trouverons nous-mêmes par le travail de nos mains.
BLO : Merci papa Laze !
L.M.: Merci!
Interview Exclusive réalisée par Kakule Mathe sur le Compte de Beni-Lubero Online





