





Voici la lettre du Mgr Kataliko du 14 mars 2000
RÉPONSE AUX MESSAGES TRANSMIS PAR SON EXCELLENCE Mgr FAUSTIN NGABU
Son Excellence Mgr KATALIKO
Archevêque de Bukavu
B.P. 3324-BUKAVU (KIVU)
RÉPUBLIQUE DÉMOCRATIQUE DU CONGO
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A Son Excellence Mgr Faustin Ngabu
Objet : Réponse aux messages me transmis par
Son Excellence Mgr Ngabu
Excellence Monseigneur,
Veuillez me permettre, cher confrère, de vous livrer ces quelques impressions après votre visite inattendue du vendredi 10 mars 2000, dans mon lieu de refuge forcé au Diocèse de Butembo-Béni. Comme vous l’auriez sans doute constaté, j’en étais fort réconforté, me souvenant que celui qui visite un prisonnier ou un malade répond, donne un visage à l’amour de Dieu, selon l’appel de Mt25 qui devrait toujours être la mesure de nos actes quotidiens, le schéma essentiel de notre examen de conscience (Fr : Redemptor Hominis, n°16). Vous voudrez donc accepter mes remerciements pour cette sollicitude particulière que vous avez bien voulu me témoigner.
Ce dernier temps, vous le devinez bien, je suis amené à méditer la vie que mena, pendant quelque temps, Jésus, fuyant ses ennemis, peu avant son arrestation. Jésus préférait ne point parcourir la Judée où les Juifs cherchaient à le faire périr (Jn7, 11, 54, 57, 12, 36). J’essaie d’imaginer ce que fut ses sentiments pendant cette période où, traqué, il sait que, s’il vient à être repéré, l’issue sera fatale. Vieille histoire, dira-t-on. Pourtant, hélas, c’est devenu relativement facile aujourd’hui, d’être exclu ou conduit à l’exil, même dans son propre pays.
A mon retour de Kinshasa, où j’étais parti participer au Commit Permanent des Évêques de la République Démocratique du Congo, session du 31 janvier au 5 février 2000 à laquelle vous n’avez pas pris part, j’étais rentré par Goma, via Nairobi-Entebbe, le 12 février 2000. Comme d’autres passagers en transit pour Bukavu, je n’étais pas sorti de l’aéronef. Les services de sécurité avaient demandé nos cartes d’identité. A ma grande surprise, mes papiers étaient retenus, sans explication. Quelques instants après, notre avion était entouré des militaires rwandais dans une jeep et des militaires congolais sous le commandement d’un certain Chapulu. Le personnel de TMK me fit savoir l’énervement des autorités en place exigeant qu’on me remette soit à Entebbe soit à Noirobi. J’avais compris mon sort, je préférais retourner dans mon diocèse d’origine où je me trouve jusqu’à aujourd’hui.
Je dois l’avouer : ce temps d’éloignement de mon Archidiocèse, dont je me sens plus que jamais solidaire, et dont je sens plus que jamais la force de communion des prières, me permet de relire les exigences de ma charge pastorale, d’y discuter de nouveaux appels en cette période difficile de notre histoire.
Le Christ, le premier, a payé le prix fort de son engagement pour nous. Il a été crucifié à cause de la perversité humaine qui n’a pu supporter la vive lumière (Jn3, 19) projetée par son être et sa parole, sur le cœur de l’homme. Cela ne peut que nous entraîner, surtout quand il nous invite, comme Lui, nos mains dans les plaies de l’humanité blessée. Chercher la vérité du Christ c’est, dans ma situation actuelle, me décider à vivre comme Lui, dans l’amour, et à me battre comme Lui encore, contre la violence du péché qui divise, jusqu’à donner ma vie, s’il le faut, pour ceux que j’aime. Option téméraire, sans doute, dont la radicalité ne manque pas de m’effrayer et de me faire douter de ma capacité à la mettre en œuvre par ma seule force.
Ce temps de carême me donne particulièrement l’occasion d’une traversée sereine du désert, confiant que la croix ne constitue pas un but. Elle seulement un passage que l’Esprit nous permet d’assurer avant de nous faire connaître la joie de la résurrection. En définitive, « si Dieu est pour nous, qui sera contre nous? » (Rm8,31-39).
Excellence, je suis quelque peu forcé à cet éloignement, c’est, je l’espère bien, à cause de mon « Message de Noël 1999 » aux chrétiens de mon archidiocèse, dont maintenant l’opinion internationale est saisi et qui n’a rien d’incendiaire. N’en déplaise à ceux qui lui prêtent des intentions diaboliques, c’est un message d’espérance qui en appelle à la conversion de tous pour voir en face nos malheurs, pour sortir du marasme soicio-politique qui nous plonge dans la misère sans nom qui ne fait que s’aggraver.
Au moins pour ceux qui auront lu ce message sans parti pris idéologique, ils conviendront avec moi qu’il va dans le même sens que celui de l’Assemblée de l’ACEAC à Nairobi : « Vous êtes tous des frères » (Mt23,8) : arrêtez les guerres! (du 12 au 15 novembre 1999). A ma connaissance, aucun des évêques signataires de ce dernier n’a été taxé de tribaliste ou d’obstacle à la réconciliation nationale.
Curieusement, dans le message me transmis, par votre méditation, de la part de Mer le Président Ilunga, branche RCD/Gomla, l’aspect de conversion et de réconciliation attendu de mon message, a été occulté. Quel rapport direct établir entre ce message élaboré dans un contexte précis d’un peuple écrasé, meurtri et humilié pour des mobiles idéologiques nébuleux et mon passé comme ancien pasteur de Butembo-Béni?
L’essentiel des messages me transmis et que vous avez eu la bonne diligence de me répercuter, consiste, preuves à l’appui que « Mgr Emmanuel Kataliko, Archevêque de Bukavu, précédemment Évêque du Diocèse de Butembo-Béni, constitue un obstacle majeur à la réconciliation nationale et au règlement des conflits interethniques, dans la mesure où il se pose comme le héraut du refus de la cohabitation pacifique entre les ethnies du Kivu, composantes de la Communauté Nationale Congolaise » (Rapport vous transmis, p.2).
Excellence, il me semble que tous les motifs établis à ma charge pour confirmer ce préjugé, sont délibérément forcés et fausses. Après bientôt 34 ans de service pastoral comme évêque de l’Eglise du Congo, dans ce Kivu jadis pacifique, ces accusations abusives et ahurissantes me relever purement de la mauvaise foi, de la manipulation idéologique perverse de ceux qui, comme on le dit, pour chercher à noyer leur chien, l’accusent de rage.
Pour le moment donc, c’est mon histoire personnelle, mon engagement pastoral et la cohésion interethnique du Diocèse de Butembo-Béni qui semblent être les obstacles majeurs au projet du rassemblement du RCD/Gomla.
Les informateurs du RCD/Goma m’accusent de tribaliste, entre autre, pour avoir transféré le siège épiscopal de Béni à Butembo. Pour votre information, Mgr Ngabu, et bien que n’ayant pas la responsabilité du diocèse en question, je voudrais vous confier ces données disponibles dans ses archives.
Le premier Évêque du Diocèse de Butembo-Beni ,a été sacré à Mulo en 1938. C’était, à cette époque, le centre du diocèse et était envisagé comme siège épiscopal par le décret de Rome. C’est suite à l’évolution très rapide du diocèse que Mgr Henri Pierrard était venu s’installer à Béni-Plaida, laissant la paroisse de Mulo comme centre de formation professionnel des enseignants.
Depuis les incidents graves dont il avait souffert en 1964, Mgr Henri Pierrard sollicité de Rome le transfert du siège épiscopal à Butembo. Moi-même, son successeur, j’ai été sacré le 11 octobre 1966, deux ans après les démarches du transfert du siège. L’acte de ce transfert fut signé le 7 février 1967, soit quatre mois après mon sacre comme évêque.
Pendant les 31 ans que j’ai passé comme pasteur de ce diocèse, le déplacement du siège n’a jamais fait problème. Sauf, sans doute, pour ceux qui connaissent mal son histoire et l’esprit des peuples qui le composent, qui n’ont nullement la culture du repli identitaire ou des conflits ethnocentriques mesquins ou meurtrier.
Butembo est entre les territoires de Beni et de Lubero. Ces deux territoires ne sont pas habités que par les Nande. Y vivent aussi des : Batalinga, Balese, Bakumu, Baserume, Bapere, Bambumba, Bapakombe, Babira, Bambuti… mais aussi d’autres tribus congolaises, toutes confessions confondues. Dans le territoire de Lubero ont cohabité Nande, Hutu et Tutsi que j’ai moi-même baptisés ou confirmés, comme dans la paroisse de Luofu. Le centre scolaire adventiste de Rwese-Lukanga a accueilli, pour leurs études secondaires, des tribus venant de toutes les provinces du Congo, et même des Hutu et Tutsi du Rwanda, sans qu’il y ait des tensions liées à une quelconque appartenance ethnique ou tribale.
Le Diocèse de Butembo-Beni n’a jamais connu le malheur de la haine interethnique comme cela est entretenu dans certains pays ou régions voisins. Le mélange, la cohésion entre les différentes tribus de deux territoires est le secret de son dynamisme actuellement reconnu et qui fait sans doute des jaloux.
Pendant 31 ans, je m’était investi non seulement dans la pastorale des âmes, mais aussi dans la promotion des œuvres sociales, au profit de tous, sans distinction confessionnelle. J’ose affirmer en toute bonne conscience que le Diocèse de Butembo-Beni peut être classé parmi les modèles de la cohabitation et de l’hospitalité pacifiques. S’il appert que le commerce soit « monopolisé » par les Nande, cela relève de la compétitivité, de l’initiative privée, de l’esprit de risque et d’entreprise et nullement d’une discrimination supposée. Affirmer que cela relève de la logique d’exclusion qui caractériserait certains, est simplement abusif, une calomnie. Pour ne citer qu’un exemple : les grands entrepreneurs de Beni ne sont pas que des Nande. Le terme « Bakuyakuya » (mot swahili) dont on m’attribue la paternité est un mot vulgarisé par les politiciens et qui est employé partout au Congo. En lingala, ce jargon,qui n’est sans doute pas ethniciste, est rendu par « Bauta ». Faut-il forcer les traits pour les besoins de la cause (et pour quelle cause)?
Comme déjà indiqué au début de cette lettre, j’étais parti à Kinshasa pour participer aux assises du Comité Permanent des Evêques de la RDC. Mon ticket de retour Kinshasa-Nairobi était pour le 10 février 2000. Qui pourrait fournir des preuves, avec date à l’appui, que j’ai vu Mr Kabila et ses partenaires, ou encore que j’étais parti animer les CPP? C’est de la pure affabulation.
Pour terminer cette plaidoirie déjà assez longue, je voudrais inviter les informateurs du RCD/Goma, auxquels je pardonne de tout cœur, de ne pas tordre la réalité pour se façonner des ennemis supposés.
Permettez, Excellence, que j’ajoute un mot sur la réalité pastorale de l’Archidiocèse de Bukavu. J’estime que la rencontre détendue du 8 mars 2000 que vous avez eue avec mon Vicaire Général, Mgr Gwamuhanya, après votre retour de Kigali, avait été suffisamment explicite pour dissiper les malentendus.
De tout ce qui précède, je voudrais que nous aidions nos chrétiens et compatriotes des zones embrasées par des conflits meurtriers à plus de solidarité pour combattre la culture du chantage, de la diabolisation, du mensonge qui ne peut que générer la paralysie déjà longue de notre tissu social. Notre mission commune est de rappeler sans cesse ce commandement : « Vous êtes tous des frères : arrêtez les guerres ». « Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés » (Jn13,34). Quel programme d’action pastorale en ces temps difficiles!
Veuillez agréer, Excellence Monseigneur, l’expression de ma plus profonde communion. Union de prières.
Fait à Butembo, le 14 mars 2000
Mgr KATALIKO
©Beni-Lubero Online.





