





Depuis longtemps, des hommes et des femmes se consacrent d’une façon particulière au Seigneur par la pratique des vœux de religion. Cette consécration religieuse, épanouissement des richesses de leur baptême, les invite à croître sans cesse dans la foi, l’espérance et l’amour. Autrement dit, il y a trois sacrifices que les consacrés offrent à Dieu dans la vie religieuse : leurs biens, par le vœu de pauvreté ; leurs corps, par celui de chasteté et leurs volontés par celui d’obéissance. Ainsi dit, quel bilan pouvons-nous établir vis-à-vis de la pauvreté, l’obéissance et de la chasteté religieuse? Notre travail comporte trois points à savoir : de la pauvreté, de l’obéissance et de la chasteté religieuses. Il s’agira de présenter les enjeux de ces conseils évangéliques dans le contexte actuel.
Le frère Charles MAVUNDA installé lecteur de l’Eglise à Kinshasa par le P. KIHUGHO
I. De la pauvreté religieuse
D’entrée de jeu, il est impérieux de noter que le vœu de pauvreté évangélique ne trouve pas son point de départ dans la vie propre du consacré, mais dans celle du Christ et du prochain. Force est de dire que la pauvreté évangélique exige de chaque consacré le souci permanent de se laisser mener par les besoins du prochain.
En effet, la plupart de religieux et religieuses du Congo-Kinshasa vivent rigoureusement la pauvreté. Ils sont convaincus que celle-ci est la contre-épreuve de l’espérance ; elle les détache de la terre et les met, à l’instar du Christ, au service des pauvres. Ils sont conscients que la pratique de la pauvreté consiste à renoncer radicalement à l’usage abusif des biens matériels. Ils mènent une vie modeste comme des pauvres qui ont besoin de travailler pour gagner leur vie. C’est ainsi que la pauvreté religieuse implique le travail.
I.1. Fondement du travail dans le vécu du vœu de pauvreté
Il importe de noter que la pauvreté religieuse convole en justes noces avec le travail. L’affirmation du concile Vatican II est claire à ce propos : par le travail, l’homme ou mieux le religieux assure habituellement sa subsistance et celle de sa famille (cf. GS 17§2). Ainsi dit, le travail est une condition d’une vie pauvre. Toutes fois, la crise économique et financière qui prévaut à nos jours dans tous les coins du globe n’épargne guère le monde religieux. Cette crise nécessite une réflexion radicale et un engagement des religieux et religieuses assoiffés de soutenir l’homme et la déshumanisation.
Partant, il faut noter qu’il est opportun de sonner le glas de la dépendance perpétuelle autrement dit, il nous faut fournir plus d’effort pour l’autofinancement. Celui-ci implique évidemment le travail et la mise en commun. Ces concepts (le travail et la mise en commun) ne sont pas réservés à une élite mais une obligation à tous. Pour le père d’Alzon, fondateur des Assomptionnistes : « malheur au religieux fainéant ! La malédiction de Dieu pèse sur lui » [1]. Quant à l’Ecclésiastique : « Le paresseux est semblable à pierre crottée, tout le monde le persifle pour son infamie. Le paresseux est semblable à une poignée d’ordures, quiconque le touche secoue la main » (Si 22,1-2).
Contre le paresseux, le livre de proverbes stipule :
« Va voir la fourmi, paresseux ! Observe ses mœurs et devient sage : elle qui n’a ni magistrat, si surveillant ni chef, durant l’été elle assure sa provende et amasse, au temps de la moisson, sa nourriture. Jusques à quand, paresseux, resteras-tu couché ? Quand te lèveras-tu de ton sommeil ? Un peu dormir, un peu s’assoupir, un peu s’allonger les bras croisés, et tel un rôdeur, viendra l’indigence, et la disette comme un pillard » (Pr 6,6-11).
Etre religieux et religieuses paresseux, c’est être malheureux et destructeur de la communauté.
I.2. Des défis du vœu de pauvreté
Le plus grand défi actuel au Congo Kinshasa est que les travaux rendus ne sont pas rémunérés selon les attentes des employeurs. Cela se justifie par la pauvreté économique, la crise mondiale qui se répercute sur les communautés religieuses.
Par contre, en dépit de ce défi majeur, certains religieux et religieuses s’avèrent plus consommateurs que travailleurs. Ils promeuvent l’oisiveté et la consommation abusive de l’alcool. Ces défis se répercutent sur la plupart de communautés religieuses. Les conséquences relatives à ces défis sont entre autres l’absentéisme aux activités communautaires, les rentrées tardives en communauté. D’autres religieux promeuvent l’individualisme au mépris de la mise en commun. Ces vices sont à la base d’une panoplie de maladies qui handicapent plusieurs communautés. Quant à l’individualisme, le père Richard Lamoureux, supérieur général des Assomptionnistes stipule que l’individualisme est une maladie qui ronge plusieurs communautés religieuses ; il (l’individualisme) s’exprime très concrètement par des chambres tellement équipées qu’un religieux n’a plus besoin de quitter sa chambre que pour manger [2]. Pour cette catégorie de religieux, une nouvelle nomination devient une menace des leurs intérêts égoïstes. Ce fait est une conséquence du manque de désintéressement. Sur la même lancée, il y a des consacrés qui cherchent à gagner facilement de biens matériels. D’où tentative de contrefaction voir détournement des fonds.
Notons avec Eli Mukasa qu’être religieux pauvre, dans un contexte de misère matérielle, ne devrait pas signifier vivre au dépend du travail d’autrui, mais travailler pour gagner sa vie à la sueur de leurs front. Saint François d’Assise, en parlant de la mendicité stigmatise :
« Vous n’irez à la table du seigneur, c’est-à-dire, allez mendier, seulement si le fruit de votre travail ne parvient plus à assurer votre subsistance » [3].
Cela étant, plusieurs questions nécessitent d’être posées afin de dépasser cette crise : comment ai-je employé mon temps ? Ne me suis-je pas laissé emporter par ma lâcheté dans bien des circonstances ? Comment veux je employer désormais mon temps en sachant qu’en le perdant en conversations inutiles, à la télévision, à l’Internet ou autrement ; je manque et je fais manquer ma communauté à la pauvreté évangélique ? Ne suis-je pas paresseux ?
Travaux de la 9ième Journée Assomptionniste de Ngaliema/Kinshasa: 24 septembre 2011
Disons-le, pour sortir de cette impasse, plusieurs propositions sont à notre portée. Il faudra : concevoir un emploi (travail) convenant à chaque religieux en vue d’un autofinancement commun ; se débarrasser de certaines possessions et des habitudes encombrantes ; mettre tout en commun et ne rien posséder sans consentement de la communauté ; développer l’esprit de transparence et d’honnêteté ; promouvoir la simplicité de vie, la vie de travail, la prise de conscience de l’identité religieuse. En sus, la formation à la responsabilité et à la gérance des biens ou des fonctions et l’ouverture aux autres, par l’attention aux injustices sociales sont de grande envergure.
En somme, la pauvreté vécue fidèlement est source de joie, de liberté de l’’âme, d’affranchissement des obligations du monde et d’imitation plus parfaite de notre Seigneur.
II. De l’obéissance religieuse
II.1. Approche définitionnelle du concept « obéissance »
L’obéissance est comprise comme une écoute appliquée à une personne, écoute tellement attentive qu’elle s’attache et adhère à cette personne qui lui parle et réalise ce qu’elle demande. Elle est ainsi une réponse vivante, favorable d’un être aux paroles d’un autre [4]. En ce sens, dans une culture africaine ou l’obéissance aux ainés et aux autorités est une valeur importante, comment cette obéissance est elle vécue dans nos communautés religieuses ?
II.2. de la valeur de l’obéissance religieuse et ses défis
Généralement parlant, l’obéissance dans le sens évangélique n’est autre chose que prêter l’oreille à l’invitation continuelle de l’esprit pour répondre, à l’instar du Christ, à l’appel que le monde nous adresse. Sur ce, la plupart des religieux et religieuses de la RDC ont pris conscience du vœu d’obéissance. Ils sont persuadés que l’obéissance est fille de la foi. Elle est pour eux une reconnaissance de Dieu et l’expression de leur amour pour lui. Cela est manifeste dans leurs relations interpersonnelles.
Par ailleurs, il y a des consacrés qui pensent que l’obéissance est une affaire des cadets, des formés. Cela étant, nous avons trois catégories des consacrés à savoir :
• Des consacrés critiques : ce sont ceux qui argumentent contre l’obéissance avec des preuves plus ou moins théologiques à l’appui. Ils contestent les ordres des supérieurs et leurs mesures d’administration ;
• Des consacrés routiniers : ce sont ceux qui se trainent, sans blâme ni zèle pour la règle, en prenant les prescriptions par routine, obéissant par habitude, soumis à l’autorité machinalement comme la locomotive au mécanicien ;
• Des consacrés fervents : ce sont ceux qui sont ardents comme un cheval de combat. Ils se mettent à l’écoute de nos frères et sœurs. Ils ont acquis la liberté intérieure, la capacité d’accepter librement la décision d’un autre. Ils rendent humblement compte de leurs actes devant leurs frères ; se disponibilisent pour la mission et pour accomplir les orientations d l’Eglise universelle. Ils sont aptes à assurer pleinement des responsabilités, à collaborer avec les prochains et à partager avec eux [5].
Il sied de savoir qu’aujourd’hui l’obéissance éprouve des réelles difficultés dans plusieurs communautés religieuses. Ce défi est dû à plusieurs motifs entre autres : la crise d’identité, l’individualisme, le manque de dialogue franc et fraternel entre les religieux et les supérieurs, les erreurs procédurales dans la prise de grandes décisions. Les conséquences qui en découlent, c’est le découragement des consacrés et la léthargie.
En outre, l’obéissance religieuse est difficile à comprendre et encore plus difficile à pratiquer, soit du côté de celui qui s’y soumet soit du côté de celui qui exerce l’autorité. Comme susmentionné, la tendance actuelle à l’individualisme rend difficile l’exercice de l’autorité. A en croire Cantalamessa :
« S’il y a aujourd’hui un problème de l’obéissance, ce n’est pas celui de la docilité directe à l’Esprit-Saint mais plutôt celui de la soumission à une hiérarchie, à une loi, à une autorité humainement exprimée » [6].
A ce propos, il nous est loisible de noter que les autorités, mieux les supérieurs sont les principaux garants de l’unité des communautés. Si telle est leur tâche permanente, la mission par contre de chaque membre de la communauté est de contribuer continuellement par ses idées, ses initiatives au bien-être de tous. Dans un esprit de collaboration, les supérieurs éviteront toute forme d’intervention autoritaire en essayant de soumettre leurs confrères et sœurs à la volonté.
Dans cette optique, l’ASUMA/ZAIRE stipule :
« Tant que l’obéissance religieuse est vécue en premier lieu comme une relation entre deux personnes, un inférieur qui doit renoncer autant que possible à sa propre façon de voir et de juger et un supérieur qui, conscient de son autorité et tenant plus au moins compte des désirs de ses inférieurs, impose sa volonté, l’obéissance religieuse ne peut être ressentie que comme un poids même comme un obstacle réduisant la possibilité apostolique du religieux » [7].
Voilà une des raisons pour lesquelles l’obéissance religieuse constitue un handicap à l’apostolat et perd la valeur d’un authentique témoignage sur le plan apostolique. L’intérêt du supérieur ayant ainsi primé, la proclamation de la finalité des religieux vers Dieu et le bien commun sont remplacés par les vues du supérieur [8].
Par conséquent, l’obéissance religieuse est devenue passive et perd de plus en plus son sens de dépassement personnel et de signe de consécration totale des religieux à Dieu et aux hommes. L’harmonie des vues et d’action entre le (la) supérieur(e) et ses confrères ou ses consœurs se relâche parce que la recherche commune de la volonté de Dieu n’est plus prise en compte.
Pour palier à ce défi, il faut :
• Promouvoir l’obéissance dialogale selon l’esprit évangélique (Mt 23, 8-9)
• Que les consacrés exécutent avec plus de promptitude possible les ordres qu’on leur donne,
• Qu’ils acceptent en toute humilité les reproches qui leur seront adressés ;
• Qu’ils aient toujours le droit de présenter aux supérieurs les observations qu’ils jugeront convenables ; ils les leur diront avec franchise et liberté. Mais on leur recommande de fuir avec soin ces conversations particulières où l’on se permet de critiquer le gouvernement des communautés ; ces conversations sont la ruine des communautés [9].
De ce fait, disons-le, pour vivre l’obéissance de façon plus radicale, il nous faut un projet commun qui nous invite à dépasser nos objectifs personnels. Il nous faut également des supérieurs qui encouragent un partage franc et fraternel avec eux ; qu’ils nous interpellent de temps en temps ; qu’ils nous rappellent assez souvent notre raison d’être et notre projet commun. Par contre, au nom de l’obéissance, peut-on demander à quelqu’un de faire un travail apostolique pour lequel il sent peu d’attrait ou des tâches qui ne semblent pas répondre aux capacités, aux goûts personnels et aux talents des religieux ? Pour le père Sitone, il y a ici un problème de discernement de l’appel de l’Esprit par l’entremise de l’autorité religieuse [10].
En définitive, la pratique de l’obéissance sera plus facile quand les supérieurs et les religieux l’auront focalisée sur la valeur surnaturelle, la volonté de Dieu à l’instar du Christ. Aujourd’hui, dans la plupart des cas, c’est le coté humain qui prime encore sur le coté spirituel.
III. De la chasteté religieuse
Aujourd’hui plus que jamais, le vœu de chasteté parait de plus en plus difficile à vivre en Afrique « assoiffée de la fécondité ». Notre étude révèle que la plupart des consacrés de la RDC sont convaincus qu’ils sont créés pour aimer et être aimés. Ils fournissent un effort remarquable d’orienter vers Dieu leur amour. Ils sont conscients que la chasteté nécessite :
• Une discipline dans les relations, dans les sorties, dans les loisirs et dans l’usage des moyens modernes de communication ;
• Une capacité de relation exigeant d’intégrer sa propre sexualité, c’est-à-dire contrôler son équilibre psychoaffectif ;
• Une prudence, une éducation humaine et spirituelle. Notre constat est que plusieurs consacrés vivent la chasteté dans la joie et la sérénité.
Nous sommes persuadés que « la chasteté nous est chère parce qu’elle est très spécialement la preuve de notre amour de Notre Seigneur et de la Très Sainte Vierge » [11]. il importe de souligner que les consacrés sont conviés à fuir les conversations inutiles et dangereuses ; leur vie doit être sans cesse occupée ; ils doivent être toujours prêts à rendre compte de toutes leurs actions. Aussi, les supérieurs et supérieures sont chargés de veiller très spécialement non seulement à l’observation de cette vertu chez leurs frères et sœurs, mais encore de prévenir les occasions et les circonstances de scandale. Les fautes contre ce vœu sont celles pour lesquelles ont est le plus sévère et conduisent plus facilement à l’expulsion du religieux [12].
Par ailleurs, depuis les origines, nous assistons avec inquiétude aux défis liés à la chasteté. C’est-à-dire il y a des religieux et religieuses qui manifestent des réelles difficultés de vivre la chasteté religieuse. Cela est dû au relativisme des valeurs religieuses, à la perte d’identité de soi, à la sécheresse spirituelle et à l’oubli des motivations premières. Disons avec le père Edward Lamoureux qu’à part la sécheresse spirituelle, on a souvent repéré un autre phénomène, celui des religieux découragés, stressés, sans énergie, passion ou motivation. On remarque qu’un certain nombre de religieux face à cette situation dramatique, tire la conclusion qu’il n y a aucun espoir, que la seule réponse raisonnable, c’est de débrancher le système [13]. Force est de souligner que beaucoup de problèmes tournent autour de la chasteté, sans évoquer celui de l’attrait à l’alcool. Pour sortir de cette crise, il s’avère nécessaire de promouvoir l’autodiscipline, la prudence dans les relations la vigilance et surtout la prière. En cas de dérapage d’un religieux, l’application rigoureuse du droit canonique devra être mise en œuvre impartialement.
Participants aux travaux de la 9ième Journée Assomptionniste de Ngaliema/Kinshasa: 24 septembre 2011
Conclusion
Pour finir, rappelons qu’au cours de notre itinéraire, nous avons épinglé le vécu des conseils évangéliques. Nous avons évoqué les succès et les failles qu’éprouve la vie religieuse vis-à-vis de la pauvreté, l’obéissance et la chasteté. En dépit des défaillances relevées, la vie religieuse présente une bonne évolution du vécu des vœux de religion. C’est cet aspect qui attire encore plusieurs vocations des jeunes qui veulent emboiter les pas au Christ et leurs ainés.
Ordination à Kitatumba/Butembo
Fr. Charles Mavunda, a.a.
Kinshasa
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