





Il était 10 heures du matin. En descendant du Boeing de la compagnie Emirates Airlines, nous nous trouvâmes au cœur-même de l’aéroport de Roissy Charles de Gaulle, à Paris. Il y avait du monde ; on se croirait dans un grand centre commercial. Manané était là, tout étonnée. « Ulaya…, Vathami ! » [L’Europe…, ah bon !] parlait-elle entre ses dents en observant le décor qui changeait de celui dans lequel elle a baigné toute sa vie à Beni-Lubero.
Au service d’Immigration, l’examen de nos passeports ne dura qu’une dizaine de secondes contrairement à ce que nous venions de vivre à l’aéroport d’Entebbe où plusieurs officiers placés en différents lieux nous dévisageaient maladroitement et assez longuement avant de s’attarder sur nos passeports et surtout sur le visa de Manané comme s’ils cherchaient à y dénicher la moindre erreur…
Dans le métro de Paris
La rame de métro qui nous emmena de Roissy à la Gare ferroviaire de Paris-Montparnasse était bondée. Ici, les gens ne se parlaient presque pas. La plupart lisaient des romans, des revues. Une ambiance qui contrastait de celle que nous venions de quitter en RDC.
En effet, les moyens de transport à Beni-Lubero mettront longtemps avant d’atteindre ceux de Paris. Chez nous, tout est en état embryonnaire. Finis les bruits des passagers, leurs conversations à tue-tête, leurs cris ou leurs chants de cantiques religieux dont les sons dépassaient bien de fois les décibels émis par le moteur du grand Fuso sans sièges réliant Beni à Kasindi.
Assise sur un strapontin non loin de moi, Manané se mit à me parler à voix basse comme si elle craignait de déranger les autres usagers du métro. Elle me posa des questions sur l’origine de tous ces peuples. En fait, toutes les races étaient représentées dans la voiture. Je lui dis qu’elle pouvait me parler d’une voix un peu plus audible et qu’elle n’avait rien à craindre car personne dans la rame ne comprendra jamais ce que nous nous disions en kinande.
Prendre le métro n’était pas une bonne idée, je le reconnais. En effet, nous nous retrouvâmes dans les entrailles de la terre. Manané ne comprenait rien de ce qui lui arrivait. Jusqu’au matin, elle survolait pays et océans et la voilà maintenant à plusieurs dizaines de mètres sous terre entrain de traverser la ville de Paris ! A moins d’une heure nous nous retrouvâmes enfin à la surface, à la gare de Montparnasse, où nous prîmes place à bord d’un TGV après avoir admiré la Tour de Montparnasse, l’immeuble qui fut classé jusqu’en 2010 le plus haut de France.
Le confort dans le TGV était déroutant. L’intérieur du train rappelait étrangement celui de l’avion. Manané accumulait ainsi des « connaissances » et pouvait déjà faire des comparaisons, des analyses…
Manané s’improvise en professeur de… géographie !
Pendant que nous traversions la France profonde à une vitesse de plus de 300 km à l’heure, Manané m’apprendra ce qui m’échappait jusqu’ici. En observatrice très avisée, elle remarqua que de Paris à Tours et de Tours à Poitiers, la France était un plat pays. Qui dirait mieux ? Celle que je prenais pour une analphabète jusqu’à dire qu’elle avait une connaissance parcellaire en géographie, oui, celle-là devint mon prof en m’administrant une leçon que je n’oublierai jamais.
Elle me dit qu’« un tel relief sans montagnes », – qu’elle décrivit également comme une vaste savane, « e’mbwarara », – présenterait un risque élevé d’inondation en cas des fortes pluies. Par ces mots, la peur changea de camp ; c’est moi qui pris peur. Je réalisai alors le danger qui guettait ma famille et moi, de vivre dans un environnement à risques… A peine une heure chrono, c’était Manané qui se faisait toute petite dans le métro. Maintenant c’était mon tour de ravaler mon orgueil et de commencer à réfléchir sur ma propre survie dans l’hypothèse d’un déferlement d’un tsunami sur l’Hexagone selon la théorie que mamie venait de me présenter d’une façon magistrale.
Les retrouvailles en famille
Les enfants avaient déjà informé leurs camarades d’école de l’arrivée prochaine de leur grand-mère. Même nos voisins immédiats étaient au courant on ne sait pas par quelle magie. A la gare de Poitiers où la famille nous attendait avec un bouquet des fleurs qui, – je présume, – ne signifiait pas grand-chose pour Manané, tous les visages étaient radieux. J’observai un peu en retrait. Manané était soulagée. Elle était heureuse. Mais elle ne savait pas s’il fallait faire deux, trois ou quatre « bises » sur les joues. Tant pis!
Ses petits-enfants avaient couché quelques mots de bienvenue sur une belle carte postale posée sur le chevet du lit, dans la chambre aménagée pour elle. Mais bon ! Manané ne savait pas lire mais cela ne m’autorisait pas non plus de vendre la mèche ou de le crier sur les toits…
Après le goûter, le moment vint d’allumer la télé pour regarder avec les enfants leurs dessins animés préférés dans lesquels on pouvait voir des animaux s’exprimer en français. Manané n’en revenait pas que cela puisse nous amuser à ce point. « Tes enfants comprennent tout ce qui se dit à la télé ? » me demanda-t-elle. « Bien sûr ! » lui répondai-je. « Moi, je ne comprends rien du tout. Le français diffusé par cette télévision resonne dans mes oreilles un peu comme le chant d’une bergeronnette! » me confiera-t-elle.
A l’heure du dîner, elle s’étonnera que les enfants puissent délaisser la viande de dinde, « e’mboka », au profit d’une pizza. Mais d’autres surprises l’attendaient car il fallait lui faire visiter le Pays…
(à suivre)
Kasereka Katchelewa
Aisy-sur-Armançon, France





